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Journal de l'autre bord

17 mars 2005

Quatrième de couverture

J'ai eu tant de raisons de m'exposer à tous les vents par le biais de ces chroniques, de céder un peu de mon intimité à des yeux souvent inconnus dont certains, aujourd'hui, me donnent le bonheur de partager ma vie qui s'émeut chaque seconde de battre à la chamade sous leur doux regard.

Des lignes à la ronde, dévouées aux caprices d'un clic plus ou moins volontaire, mes sentiments intimes nichés dans le grand fatras de la blogosphère, de ces mille témoignages souvent insanes contre quelques uns, bien plus rares, peut-être superbes... Le creuset est riche, certes, mais assez ingrat finalement pour qui s'essaie à y croire davantage. Car il ne s'agit que de gribouiller de ces quelques caractères, plus ou moins bien trempés dans une encre imaginaire, des pages souvent négligées, fatalement inaperçues par le commun des mortels, ce lecteur critique et néanmoins ami des paragraphes, ce zappeur fou qui me rencontre au gré du hasard ou d'une démarche personnelle.

Car c'est comme à la Samaritaine, si m'en croyez : j'ai trouvé de tout chez ceux qui m'ont eux-mêmes trouvé. Mais une chose demeure, rien n'est éternel en ce bas monde et les oeuvres, si elles survivent quelquefois à leur auteur, ont ceci de périssable qu'il faut bien un jour savoir y mettre un terme, la touche finale, la signature, la quatrième de couverture.

Cent unième chronique, c'est le bon moment, il me semble, pour aller voir ailleurs, pour me cacher de ceux qui m'ont ainsi lu presqu'impunément, ne pouvant décemment blâmer leur intérêt un tantinet voyeur pour les tréfonds de mon égo, ce petit for intérieur qui s'expose prétentieusement lorsqu'il espère, à peine malgré lui, être violé un peu.

Si peu... mais c'est finalement trop désormais.

J'ai donc besoin de retrouver ma liberté, de me sentir à nouveau incorrect si besoin est, de cracher dans la soupe si les hauts le coeur m'en disent, de dégueuler du mal les jours d'ennui dans une mauvaise foi absolue ou une clairvoyance des plus sensibles...

Je veux filer de là, je veux filer mes métaphores sous d'autres cieux, autrement peut-être, à l'abri d'un anonymat relatif, loin du souci étrange de devoir composer de manière régulière pour demeurer vivant, scribouillard actif et méconnu, frustré d'un je ne sais quoi, peut-être de ne pas être fils caché d'un Président pour inscrire une autre lisibilité sur mes pauvres productions, peut-être de ne pas avoir assez de talent pour se faire légèrement remarquer au milieu du presque rien...

Dernière page donc, cartonnée pour mieux résister à l'usure du temps, et rappeler à ma prospérité sentimentale, si besoin était, que j'ai définitivement atteint l'autre rive, l'autre bord, dans une croisière désormais sereine où ma main s'amusera une vie des doigts tendres de mon Chocolat.

Une vie ou davantage.

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27 février 2005

Les biscuits défendus

J'imagine qu'elle protégeait mon intégrité.

Car, de même que l'on écarte quelque jeune enfant de la lecture des "Mickey" à papa, ces magazines glacés qui réchauffent les sens virils par une nudité toute crue s'exposant sans le moindre artifice, j'ai dû être logiquement mis à l'abri des attaques, forcément nocives, que fomente honteusement le lobby industriel du sucré contre les petites dents fragiles de l'enfance toute entière.

Mais il demeure cependant ce mystère : pourquoi donc y avait-il de telles horreurs alimentaires dans son salon, bien cachées, sous clef, à l'abri de mes petites mains innocentes ? Pourquoi des biscuits au chocolat, des barres Mars et autres joyeusetés, s'il s'agissait bien là d'un poison si sûr ?

Car Sainte-Corinne a dépensé beaucoup d'ardeur à développer un sens très subtil de l'hospitalité. Partant visiblement en guerre contre ma gourmandise enfantine, un vilain défaut qui vraisemblablement aurait dû la ruiner en un déjeuner dominical d'un pauvre week-end sur deux, elle m'a donc singulièrement exclu, pauvre et encombrant fils d'un premier mariage honni, de son étrange bien-être familial dans lequel je me devais d'après elle d'interférer.

Je me souviens ainsi de ce placard haut perché, dans cette déprimante cuisine, de ces quelques gâteaux rassis, ces quelques rances paquets jadis éventrés par une âme aussi désespérée qu'affamée, toutes ces gâteries insipides et ramollies qui rivalisaient de sédentarisation et attendaient, je l'imagine encore volontiers aujourd'hui, l'heure où la poubelle les engloutirait enfin pour les soustraire à leur sort de l'inéluctable rejet paternel.

Etait-ce donc tout ce que je méritais du haut de mes quelques années, du haut de ma politesse de jeune garçon élevé dans les irréprochables manières d'une grand-mère éminemment chrétienne ? Mais c'était bien cela qui devait exactement irriter ma jeune belle-mère : mes fameuses manières, trop polies, trop efféminées, trop tout...

C'est étrange finalement comme j'ai cumulé de tout temps cette sensation récurrente de persona non grata, d'intrus de toute part, de petit et encombrant rebut. Et en ce sens, mes passages éclairs au heures de garde de mon père, ces longs et interminables espaces de quelques heures le week-end où, la majeure partie du temps, il vaquait inlassablement à ses passions équidées, me donnaient le terrible déplaisir de me retrouver souvent seul avec elle, pire encore, avec ses transparents et envahissants parents, longtemps vissés au même palier. Il y avait là mon vouvoiement intensif à leur encontre, mes civilités d'usage où je donnais du "Monsieur" et du "Madame", et pire que tout, leurs baisers obligés, du bout des lèvres... Tout transpirait l'évidente distance d'une grand-parentalité refusée, à l'instar de leur fille nouvellement mariée qui, obstinément, se serait refusée à développer une quelconque tendresse à mon égard... Bien au contraire, elle préférait de loin m'imposer le fruit de ses réflexions les plus mesquines.

Une certaine idée de la bêtise, ou de l'aigreur, je n'ai jamais trop su en fait, c'était certes là son habitude avec le monde adulte dans son ensemble et avec sa belle-famille, à sa décharge malheureusement très italienne, en particulier. Jeune homme pourtant sans problème, sans désir, sans l'once d'une pauvre demande, je ne suis cependant pas très convaincu, ma fallacieuse adolescence paisible aidant, d'avoir mérité de vivre des jours comme cela..

Je lui ai toujours connu ce type de rapports qui, même s'ils se sont quelques peu humanisés avec l'habitude de la médiocrité, n'en sont pas moins sempiternellement demeurés futiles, inutiles, superflus, en un mot totalement dispensables. Et c'est ainsi que, l'instance de divorce de mon paternel aidant, j'aurai naturellement zappé un programme désespérèment brouillé, aussi pertinent qu'une ligne de mire devant l'éternité.

Alors ? Pas un appel en une vie, rien, pas un cadeau aimable, pas un petit plat, pas une tendresse et là... Là ?

Y a-t-il réellement un intérêt à vouloir me contacter subitement ? Est-ce mon homosexualité qui fédère un je ne sais quoi de voyeur, est-ce l'air de rien pour parler de mon père qui lui a récemment échappé, est-ce pour de vrai, est-ce pour de faux, que subitement elle me dépose un message pour prendre de mes nouvelles, celles-là mêmes dont elle s'est pourtant foutue vingt ans durant ?

Alors j'hésite, j'oscille entre la corvée de mon rappel et une certitude aquoiboniste, entre ma politesse légendaire et mon émancipation des convenances démodées.

Et quelque part en moi, néanmoins fidèle à mon éducation, cette indécrottable gentillesse qui me donne à oublier les biscuits au chocolat qu'elle enfermait dans l'imposant buffet d'à côté...

21 février 2005

Un ange passe (mais bien trop vite)

Un vendredi ordinaire, du genre de ceux qui augurent un week-end des plus insignifiants, tant qu'à bien faire sous la pluie glaciale, et le leitmotiv habituel, méthode Coué de l'économie matérielle, pour se répéter à l'envie qu'il est bon de rester chez soi et n'en rien dilapider.

Un vendredi comme les autres donc, annonciateur du rien, et moi penaud devant mon ordinateur nomade, draguant l'âtre pour épouser davantage un peu de chaleur volatile, me réchauffer de mon ennui dans mon foyer solitaire, en attendant des jours meilleurs, au propre comme au figuré. Mais pas un seul instant je me figurais du divin miracle à ma porte, de ce que la magie puisse encore jouer en ma faveur, mirage et oasis, tout en un, en une apparition divine dans l'embrasure : un ange à ma porte, le mien, mon ange à moi, mon amour, mon Chocolat suisse.

Ludovic qui traverse sans rien dire ses montagnes et avale des centaines de kilomètres, différant positivement de deux exactes semaines nos retrouvailles attendues, s'est métamorphosé malgré lui en apparition mariale, faisant de moins une Soubirous d'un genre nouveau, le témoin privilégié de ce que pas un seul instant j'imaginais contempler, son sourire franc et médusé objet de mes incertitudes subites.

Qu'était-il, usurpateur, chimère ou rêve ? L'espace d'un temps, quelques interminables secondes, il ne m'a pas été donné de réagir ni même de comprendre la réalité. Ereinté par mon côté terriblement terre-à-terre, j'en oublie quelquefois combien la fantaisie est un grain de sel qui s'accommode aux plats les plus savoureux, à ces amours délicieuses auxquelles on goûte une fois et dont on ne se passe jamais plus. Un brin de folie, sa folie habituelle, son sac à surprises, le souci omniprésent de davantage me surprendre encore, c'était évident, c'était écrit quelque part... et pourtant... Je n'ai rien su venir, jamais je n'avais osé scénariser dans mon conscient inconscient une telle diversion, ce qu'il pouvait, une fois encore, ainsi ou comme cela, me donner à connaître de lui.

Mon homme est un puits aux merveilles, celles qu'il recherche inlassablement pour moi, avec cette obsession omniprésente de me les offrir, de me faire plaisir, de me combler sans que je n'ai le seul besoin d'en formuler un simple désir. Il est là, à distance, mais attentif, chaque jour, chaque nuit ; il écoute, entend clair mes silences, mes malaises, mes aspirations que j'ignore moi-même quelquefois ou feins, peut-être, d'ignorer.

Et il exauce, tout et n'importe quoi, petit ange gardien qui me veille jusque dans mon intégrité bancaire, Père Noël hors saison et à plein temps remplissant ma vie, mes penderies, mon frigidaire de tout ce qu'il lui sied de partager avec moi. Où s'arrêtera-t-il ?

Je suis sans cesse soufflé de ses bras qui m'entourent et me prodiguent tant de soins. Pas habitué, pas un seul instant, par des rencontres tellement linéaires, voire plus égoïstes ; l'écart est grand, il faut avoir le coeur souple pour en faire une évidente différence et mesurer, mètre en main, ce qui le sépare du commun des mortels.

Mon Ludo, cette créature presque féerique, même doublée à ses heures d'une fieffée et exaspérante canaille, possède ce doux avantage sur  quiconque de m'aimer profondément, pour ce que je suis, sans rien en changer. Il y a là une telle intensité, un tel talent, que chaque jour qui passe j'en viens à me demander s'il n'est pas Dieu possible d'avoir eu autant de bonheur dans un seul clic d'un internet que n'importe quel pratiquant romantique trouvera souvent sordide et dérisoire.

Combien de pioches de cet acabit ? Combien de pauvres chances de rencontrer quelqu'un de simplement valable ? Et, par dessus tout, hypothèse improbable, combien d'anges sur un marché de dupes ?

Certains, ils sont infinitesimalement rares, décrochent une fois dans une vie le pactole, le gros lot, les numéros d'un potentiel bonheur pas même garanti sur facture. Moi, je n'ai aucune bonne fortune au jeu, pas même à la pêche aux canards dans une kermesse ; rien, la scoumoune à l'état pur, liquide, comme l'argent qui me fait sempiternellement défaut. Mais, j'ai réalisé l'équation impossible sans en demander quoi que ce soit, je brandis ma victoire, ma combinaison d'une joie de chaque instant depuis bientôt une année des plus belles.

Oui, moi, petit perdant éternel, j'ai sur mon épaule la tête la plus tendre, j'ai contre ma poitrine le coeur le plus entier qu'il soit, j'ai trouvé mon chérubin qui m'accompagnera chaque instant de chaque jour et me protégera de ses ailes.

Un paradis et une bonne étoile.

8 février 2005

L'ylang-ylang bien pendu au petit matin

C'est là quasiment une tradition.

Avec le café, long moment s'étirant bien au-delà des quelques goulées nécessaires au courage, et même si le sucre ne fait pas l'unanimité dans nos tasses, il subsiste toujours en notre cercle quelques morceaux prêt-à-casser sur un dos qui s'ignore. En leurs lèvres, un goût commun et prononcé, une saveur bizarrement réconfortante, comme l'expression d'une gazette vivante, une critique en roue libre qui va nous narrer, dans la demi-minute même foulant l'événement, le tout dernier dérapage de l'autre, le scoop en question.

Et c'est bien ainsi que le petit univers de mon Bonifacio professionnel fonctionne, mécanique et rompu à cette pratique régalienne, à l'onction matutinale d'un roi des cons, tenant du titre pour longtemps. Cette huile volubile, à peine essentielle, au parfum poisseux, elles la versent, la déversent inexorablement, le coeur indigné, et s'insurgent avec véhémence contre ces faits, ces gestes, du camp d'en face. Car elles ont un rite qui s'ignore, mes femmes,  elles cajolent une petite manie d'esprit viscéralement critique, une humeur au moins chagrine, souvent vindicative, sinon quelquefois même méchante. Ces agents de surveillance improvisée sont malgré elles à la recherche d'une improbable découverte, briguant une sentence incontournable qui, définitivement, fera de l'autre un ennemi promis, juré, et craché. Fut-ce dans sa propre soupe. Un comble en somme en certaines occasions...

C'est donc selon, certes, et tout y varie, mais le ciel demeure quotidiennemenet témoin de ces cérémonies informelles qui  voient un dénigrement totalitaire couler sur des têtes évidemment absentes, caboches à réduire à l'instar de quelques improbables amazones... La guerre est là, précise et permanente, motivée on s'en doute, on le sait, on le croit, même si on finit par ignorer au juste le pourquoi du comment, à force de cumuler l'inventaire des tares d'autrui et de nos phantasmes.

Loin du caractère grandiloquent, limite guignolesque lorsque la démente irraison s'empare quelquefois de l'une d'entre elles, je sais qu'il est typiquement méditerranéen de parler fort, de s'emballer, d'hurler des véhémences révoltées, et de s'emporter sans ambages sur des mers que l'on sait éventuellement parfois démonter par ses propres bons soins. La grande bleue nous cerne, c'est évident, elle influe, rendant les âmes exactement sanguines, assises sur des charbons ardents dont le feu ne demande qu'à flamber au moindre détail. Mais il existe dans cet éternel recommencement, dans ces racontars de bureau, entre les "elle m'a pas dit bonjour" et les "tu as vu sa jupe ?", tout mon ennui de petit homme au milieu de ces dames.

Cela me rappelle une autre épuisante expérience, montargoise celle-là, où déjà je m'exaspérais par avance d'entendre les comptes-rendus des week-ends en famille, des aventures du petit dernier ou l'allusion aux ébats du dimanche soir d'après le film. Ma vie mâle contre leurs considérations féminines, j'ai souffert en silence pour longtemps porter bonne figure et ne pas être un ovni dans ce délicat univers de pathologie gynécologique...

Or, en ce cas présent, c'est un pire récurrent et exponentiel, c'est la jérémiade permanente, la joute de stratège, souvent à juste titre, certes, mais pas seulement... J'endure, je glisse, je cautionne l'omniprésence de ces conversations qui tournent en boucle d'or, bijou d'apparat verbalisant, et serinent le même mal-être des plus déplorables. Rejoindre le bureau m'en devient par définition pénible, redoutable, et j'atermoie inlassablement chaque jour le moment en cultivant un retard désormais légendaire.

Qui croira donc que je fais l'effort de rester davantage au lit pour ne plus les entendre, une heure durant, tartiner de fiel un incident presqu'imaginaire...?

30 janvier 2005

J'aime pas Farmer (ou l'échappée belle)

J'ai essayé ; un effort pas réellement surhumain pour un auditeur volontairement occasionnel mais, en tout état de cause, au delà de mes forces que je voudrais un minimum culturelles. Désormais, c'est réellement acquis, si m'en croyez : je ne serai pas de ceux, je ne serai pas de ces aficionados ordinaires qui roucoulent devant Elle, un pédé lambda auquel j'échappe clair.

Mais il me fallait comprendre ce que l'égérie assumée des vieux concupiscents, des vicieux libidineux de tout âge, la prêtresse du mal de vivre adolescent, la Mylène fédératrice d'un milieu franco-homo, pouvait apporter comme émotion majeure à un individu normalement constitué ; j'ai nommé, moi, votre serviteur, spécimen encore jeune et délicieusement inverti !

Alors j'ai glissé le disque sur la platine, ce vidéogramme abandonné là, depuis belle lurette déjà, par l'homme de ma vie. Mais tel un Saint-Antoine flaubertien, je résistais inconsciemment depuis, histoire de, je le crois volontiers, ne pas sombrer peut-être plus avant dans un cliché que je m'en voudrais d'épouser. Fut-ce même via un PACS improvisé...

Ce divin soir, repus et saoulé à la vieille prune, j'attendis donc que l'insupportable Innamoramento en ait finit de dégouliner cinq minutes durant pour voir sortir d'un Buddha new-age Gigerisé, tel un improbable pois chiche d'une cervelle vide, la belle offerte, dénudée en mariée intouchable, acclamée telle la divinité salvatrice qui inspire ni plus ni moins que l'ensemble d'une génération. Ou de deux, au pire.

Mais qu'y trouver là, dans cette débauche de faisceaux laser à faire pâlir un Jean-Michel Jarre et son contrat exclusif avec EDF, que ressentir passées les premières minutes de l'insondable folie déifiante de ce public en furie, tout droit échappé d'un Marais exponentialisé ?

Moi, j'y ai vu une femme s'affligeant douloureusement d'un artificiel sourire, plutôt dirais-je de la subtile grimace d'un non moins délicat Joker de chez Batman, maquillée comme une mère maquerelle et coiffée telle une pute passée la bataille, cheveux filasses et carotte réglementaires, une femme forcément milliardaire qui s'efforçait d'hurler crescendo des textes que je suppose, avec quelques uns de mes critiques de pairs, volontiers ineptes.

Car c'est aussi bien de cela dont il s'agit, passées les quelques apartés hystériques à la voix haut-perchée, lorsque l'on arrive à cerner une pauvre moitié des lyrics azimutés, dans ces sphères sonores véritablement inaccessibles, l'on s'étonne de l'indigence toute évidente de cette prose de collégienne dépressive, de ces rimes tantôt légères tantôt infantiles, qui n'ont de cesse de conjuguer le sexe, la mort et le sang. Et ensuite, ma douce et tendre, et ensuite, que proposes-tu de novateur, d'authentique, de fort ?

Ensuite, l'indigence camouflée de sa présence scénique, des chorégraphies autodidactes mollassonnes, jeux de jambes affriolantes qui se répètent à l'envie devant un public ébaubi, des effets de regard figé, marketing de biche apeurée, bref, en un mot comme en cent, le vide, l'insupportable vacuité d'une artiste dont le seul génie est de durer. Et Dieu sait qu'elle dure, quand moi je ne sais véritablement pourquoi, tandis qu'elle chante peu ou prou depuis mes quatorze années la même mélodie du bonheur impossible, quatre miséreuses notes éculées au compteur, déclinées à l'infini sur tous les registres, photocopiés à l'envie, d'arrangements poussifs trop familiers en excès en tous genres, tel celui de la rareté divinement bien pensée.

Or tout ceci se fait sans honte aucune ; pas même celle du ridicule formaté, les pauvres et dérisoires larmes qui roulent, les sanglots qui s'étouffent en une chanson pathétique, le comble du miracle répété chaque jour, en soirée ou en matinée, pour une artiste, il est vrai, unique. Et heureusement, d'ailleurs...

Le ciment homo sera donc sans moi, tout hermétique que je demeure à une telle pléthore de sincérité inversée, loin de la présence magique et électrisante d'une autre chanteuse, pourtant elle aussi sans voix, la sublime Vanessa, qui à défaut de moyens débauchés, expose son âme sans artifices, son interprétation comme un don de soi, se gardant de singer ce que l'américaine de Ciccone sait faire mieux que personne. Mylène ne sera jamais Madonna, je crois. Et je garderai encore vraisemblablement longtemps mes petites idoles au chaud...

J'ai l'humeur un tantinet vipérine ce soir mais elle est à la hauteur de ma déception tant je m'étais imaginé, pour me l'entendre dire, que ce petit bout rouquin de femme fragile offrirait véritablement quelque chose de singulier, un show peut-être pharaonique mais animé par une âme et non par le simple appât évident d'un gain décuplé par le nombre de billets arrachés au comptoir de la Fnac.

C'est bien là pour moi ce à quoi j'échappe fièrement, une déclinaison identitaire de l'exploitation grégaire des foules, la flatterie soupesée, l'apanage d'un plan marketé comme le sol d'un appartement ancien.

Et n'oubliez pas les patins ! Faudrait tout de même pas abîmer ce qui brille...

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29 janvier 2005

Cheveux sur la ligne de départ

Alors, ce serait donc cela ?

Ce que l'on redoute, en homme qui avance, le signe avant-coureur de ce qui n'est presque plus, de ce qui ne sera définitivement pas négociable dès un lendemain imminent, ce que l'on aperçoit, consterné, dans la lueur d'un reflet et d'un miroir stratégiquement inversé. Parce qu'il est de ces acrobaties géniales qu'elles en demeurent mémorables, tant par la singularité de l'opération que par le choc insondable qu'elles produisent : une certaine idée de ce qui annonce le déclin, le départ vers un âge adulte. Tellement trop adulte...

Il en est donc fini des cellules dynamiques, de la croissance, de ce qui se régénère généreusement, la peau, les os, les cheveux... Maintenant sonne le glas dans la glace, et je constate avec effroi, autant morbide que surpris, le petit lien qui me lie avec ma gent, ce qui fait inexorablement de moi un individu ordinaire, à leur image, la leur, la mienne, les poignées d'amour qui s'acoquinent désormais à la calvitie naissante...

Je suis un homme, un vrai : je les perds à mon tour. Là-haut, tout derrière, moi qui avais le sens agacé de ces séances au salon de coiffure où j'implorais de me désépaissir tout cela, de me tailler dans la masse, cette chevelure dont les démagos artistes des ciseaux m'en vantaient l'opulence, me voilà désormais à entendre le fatidique et insoupçonnable "ils s'éclaircissent, vous savez"...

Ah, ça... désormais, je sais, je vois, je traque, je peste contre une fatalité dont pas un seul instant je n'avais pensé qu'elle me ferait la grâce de sa mésaventure. Serais-je le maillon faible de ma lignée ? Pas un membre de ma famille qui, de vingt ans en huitante, n'a eu à affronter ce regard compatissant du coiffeur, toujours partant pour vous faire viser les linéaires de ses miracles liquides en onéreux flacons.

Car qu'est-on prêt à faire, en mâle un peu fier, pour ne pas voir sa vigueur capillaire s'essouffler dans le vent et se répandre au petit matin sur la porcelaine immaculée d'un lavabo ?

Assurément, et je l'ai longtemps gratuitement imaginé, je ne ferai nul savant collage sur ma petite tête bien faite pour cacher la faille de San Andreas qui me sillonne le haut du chef, escargot déplumé lézardant mon crâne et attisant, j'en suis certain, tous les regards compatissants des heureux chevelus en tous genres. Il va me falloir choisir entre la gourmande tondeuse, celle qui fera de moi le stéréotype évident du petit pédé branchouille, ni beau ni laid, crâne rasé pour une virilité toute codée, et la tentative désespérée de reconquête de mon eldorado à moi, cédant aux sirènes de la cosmétologie, science géniale et ambitieuse qui pourrait différer le crime de lèse-majesté que voilà.

Etrange, finalement, que ce dédain subit, lorsque la nature me l'impose, d'en passer par la lame, ne me laissant ici qu'une molle alternative entre le renoncement à un moi polymorphe et une course poursuite après le vent du nord qui les emporte l'un après l'autre...

Combien de fois ai-je donc porté le cuir libre, ou si peu envahi par une poussée vigoureuse, combien de passages de la mèche rebelle ou romantique à la virilité toute relative d'une jolie petite coupe courte, la nuque dégagée, symbole dans ma petite tête d'un érotisme offert à une main amie ? J'ai passé mon temps, ma vie, à changer d'apparence, à conjuguer les styles, et maintenant, c'en serait donc fini ?

Cruauté du temps qui passe, il va me falloir renoncer à m'accrocher à un âge d'or, bien que l'on ait les lingots que l'on mérite, et accepter la sentence du temps, vainqueur indomptable de tout effort de subsistance.

Mais j'y crois encore, à la coïncidence potentielle d'un traitement en cours, qui contre-indiquerait ardemment la repousse, comme à l'assistance efficace d'un autre, cette fois-ci dédié à la cause pas tout à fait encore perdue d'un appréciable et gratifiant sursis.

J'ai l'année pour y voir clair, ce là même où je traque cette détestable et envahissante clarté capillaire. Avant que ce jeu ne soit inexorablement couru d'avance et donné perdant, à mille contre un.

Horreur... le seul qu'il me restera !?!

20 janvier 2005

Le loup sur la berge rit

C'est d'une invitation dont il s'agit, comme un retour aux sources, en cette gâtinaise Venise, entre quelques canaux, de loin en Loing, deux oui qui s'échangent pour un petit peu de pire et moult meilleur, et moi. Et eux, accessoirement... surtout eux.

Ces agneaux de Dieu me posent problème, un tribut à crédit, le genre d'épine dans le pied que l'on oublie un temps mais qui inconsciemment omise se réveille et vous empêche, dans une mesure certaine, de fermement poser le pied sur la terre ferme. Parce que c'est ainsi, je le savais et le sais encore, je continuerai sempiternellement d'en payer le prix, des années voire une vie d'ostracisme contre l'infamie d'une élégante rébellion révolue.

Je suis donc un exclu, comme ils disent, et accessoirement aussi un homo. Mais, avant toutes choses, c'est pour cette première raison que je deviens persona non grata en leur monde nouveau tellement spirituel qu'ils en cultivent l'intolérance comme la rose la plus rare. Je sais toutes ces choses, j'en connais les tenants et les aboutissants, j'avais cependant totalement occulté qu'au mariage de mon amie, ma Marilyn à moi, son cercle admis se composerait indubitablement de quelques spécimens au caractère apeuré, craintives brebis recluses sur leur credo, pour qui je représente un danger.

Moi, le danger, moi le loup aux dents acérées qui m'en irait déchiqueter leur vertu entre deux toasts et quelques poignées de mains si on me laissait entrer dans leur sacro sein, leur petit univers tout propret où rien ne doit dépasser, et surtout pas la moindre infidélité aux manières admises, à ce qu'il faut penser, à ce qu'il faut endurer, pour avoir la chance d'être sauvé.

Sauvé... oui. Je me suis effectivement sauvé. Mais tout seul ; et loin de surcroît. Ni pire ni meilleur (quoi que...), toujours le même, m'efforçant de conserver mon honnêteté, mes doutes récurrents sur ma petite personne meurtrie, traînant ma petite et interminable vie d'adolescent mal dégrossi comme un boulet omniprésent, un rappel constant d'un grand gâchis.

Et l'on me gâche encore et toujours le plaisir de la voir, elle, et lui, se donner l'amour en gage d'éternité, de reconnaissance de toutes ces années où la paix, celle qui ne dépend surtout pas de cette foi étrange, s'est installée, faisant un nid pas toujours douillet mais tellement sécurisant, tellement valorisant.

Le pire dans l'affaire, histoire bête à pleurer qui se répète, ce n'est pas tant soit peu que je me retrouve écarté comme un mauvais fruit, chose que je concède volontiers à ma jolie mariée. Non, le pire ici est que, d'une cavalière manière ou d'une autre, je lui ai posé cet insoluble problème, ce souci indomptable de devoir choisir entre une fête avec des individus pas exactement indispensables mais mathématiquement nombreux et moi, le loup dégénéré, fidèle certes, mais seul à deux.

Ce n'est pas vraiment de la colère que je ressens, je crois ; davantage de la pitié qu'il nous faille, tant à Johanna qu'à moi-même, composer avec l'étroitesse d'esprit de ces ovins-là, avec leur comportement réactionnaire sous couvert d'un attachement à des préceptes poussiéreux, dogmatiques et asociaux, lorsque ma petite personne aurait pu parfaitement se fondre entre quelques coupes, deci delà, au milieu de tout ce monde, soit exactement au milieu de nulle part. Fut-ce avec une peau de brebis illusoire sur un comportement empreint de discrétion respectueuse des croyances d'autrui.

La décision est désormais claire, elle est d'ailleurs mienne, je m'abstiendrai de venir draguer leur berge, je ne regarderai que de l'autre rive cette petite fête entre pseudo amis, ces "frères et soeurs" qui ont un sens dévié de l'hospitalité dans lequel, définitivement, je ne reconnaîtrai jamais l'amour éminemment chrétien. Je n'irai donc pas... Puisqu'il est pour moi inconcevable que je fasse fuir le troupeau par ma seule apparition, choléra pestilentiel qui leur polluerait une des seules occasions qu'ils ont de partager, de surcroît par procuration, un moment festif... avec modération, bien entendu. Johanna mérite sa noce sans accroc, sans l'humiliation de ces habituelles réflexions, de ces remarques sans cesse pleines d'amour, quant à l'organisation de ceci ou de cela, quant à la longueur de sa jupe ou à la pertinence de ses cartons d'invitation.

Qu'elle ait donc la paix, ma douce amie, je la lui offre ! C'est un don, un abandon, avec regrets, certes, mais c'est par dessus tout, grimé comme un loup cynique, le rictus assuré qui contemple la bêtise humaine dans son grégarisme le plus primaire.

11 janvier 2005

Ex-génie sent bouillir à petits feux...

L'enfer a parfois ceci de bon qu'il vous donne les moyens d'atteindre des cieux, à votre mesure s'entend, celle-là même qui se bat chaud quand on entend incessamment la mélopée domestique, l'inextinguible mantra, l'assurance sans aucune prime de risque que l'objet est nul. Ou presque. Et l'objet, c'était moi.

Passé, présent, mais encore ?

J'avance, j'hésite... de moins en moins cependant. Car tout me réussissait en un temps pas si lointain, un temps en forêt scolastique, fameux lycée d'un Montargis honni, d'une demeure qui m'imposait le malaise permanent pour me donner, involontairement, à trouver plus belles toutes les compositions sur tables, les études de cas, toutes  les dissertations, histoire de penser quelques heures durant à l'existence d'une vie meilleure et intelligente, loin de mon internement familial.

J'y croyais ferme, je ne trouvais de salut que dans l'apprentissage très volontaire de la vie de jeune cadre dynamique, bien habillé, parfumé égoïstement par Chanel, les dents juste assez longues pour décemment réussir en gradant dans une banque, en faisant la nique aux Cassandres qui m'avaient montré alors du doigt pour avoir opté, au carrefour des orientations thématiques, pour ce bac G, le "bac à bon marché" de ce salaud de Sardou (litanie complexante quelques deux ans plus tard).

Les oscars s'empilaient, en comptabilité ou en fiscalité, en français comme en économie, et les efforts soutenus d'un cercle de groupies professorales m'avaient donné à croire, un temps, que je me devais de faire partie de cette élite carriériste en subventionnant mes inscriptions d'entrée à de prestigieuses écoles. De Nancy en la Rochelle, d'Institut Commercial en Sup de Co, and Co, le rêve de devenir ce que mon univers domestique avait favorisé davantage que mes gênes, un petit génie exemplaire, un digne représentant de mon lycée, scandaient-ils... Se barder encore, de diplômes et d'expérience élitistes, joli soufflé aussi vite monté que retombé, après un travail de sape, entrepris par mon beau-père, aussi efficace qu'exemplaire .

Le courage, la folie douce, faisaient bien trop défaut à mon esprit cartésien pour que je passe au-delà de ces pronostics défaitistes, ce que la précarité bassement matérielle de la chose s'empressait d'ailleurs de corroborer par d'insistants clous imaginaires... Et entre quatre planches donc, enterrés illico presto les honneurs futurs dûs aux esprits de mon rang, adieu le talentueux étudiant qui aurait pu faire mieux. Evidemment bien mieux...

Comme quoi, contre toutes légitimes attentes, rien n'est vraiment joué ; au contraire. D'un cursus moins glorieux, mon gentil cousin de Directeur a transformé son essai lorsque j'ai fait trop cuire le mien, ébouillanté sous mes obsessions récurrentes de médiocrité éminemment stable. Quant à ma tendre Marylin, autrefois OVNI en abyssal échec scolaire, a accompli le grand saut au dessus de ma molle et peu excitante carrière. Ces uns, ces unes, à force de, révèlent à mon ennui que l'on possède jamais, vraisemblablement, que ce que l'on mérite, bien au loin des petits carnets trimestriels qui rassuraient (à peine) la famille et faisaient discrètement gonfler l'orgueil d'un lycéen brillant.

C'est pas la mer à boire, pas encore, mais l'idée trotte plus sûrement que jamais dans ma tête, jadis géniale, lorsque le jour de paye ressemble comme deux gouttes d'eau à une fin de mois fiscalement puissant...

Voilà donc que j'aurai des velléités d'un autre chose...?

L'ennui, c'est qu'il me faut encore savoir trouver quoi, sous le couvercle de la marmite.

2 janvier 2005

Le corps du déni

Je m'y refuse, obstinément. Je ne peux, je ne dois consentir à l'affreuse logique chimique qui fait de la richesse alimentaire une autre opulence moins courue, plus envahissante, qui résiste à tout, sauf à l'abandon désespéré, en un mot comme en cent, un caractère gras, trop gras, bien trempé dans les lipides.

Effectivement, je sais qu'il y a pire en cet hiver 2005 que mes petites inquiétudes obsédantes sur ma ligne de mauvaise conduite, celle qui m'a amené, obstinément, à flirter avec la barre des huitante, réminiscence de vacances bretonnes à l'orée de mes vingt ans, toutes baignées de galettes et de crêpes au beurre... Il y a pire, certes... mais bien plus loin, bien ailleurs de mon égotisme d'occidental...

C'était déjà il y a longtemps, c'était le mauvais temps, celui du dehors, comme de l'intérieur autant, et je me disais, du moins le croyais-je fermement, que jamais plus je ne parviendrais à un tel oubli de moi, de cette image qui, si elle n'avait pas l'art et la manière de se montrer un tantinet musclée, conservait au moins, la décence d'une pseudo maigreur presque réconfortante.

De mon apparence débile, de mon ventre faussement plat, ne reste que l'illusion vêtue de ses meilleurs atours, lesquels tendent par le même coup à se raréfier lorsque les matières fluides, les chemises cintrées, n'ont de cesse de souligner, par un marqueur fluorescent imaginaire, ce corps du sujet qui s'abandonne bonant malant à des envies honteuses, des fondues odorantes, des plaisirs chocolatés pétris de noisettes craquantes... Au minimum absolu.

Et cependant, je sais qu'il viendra un temps, forcément à portée, demain, sans doute, où je devrai me dégoûter un peu plus de ces chairs trop molles, de cette apparence d'éphèbe raté qui s'éternise lorsque le temps le rattrape malgré lui et se refuse à lui offrir la saillance virile des statues antiques.

Bien entendu, et ma mère fut jadis prophétesse en mon adolescent pays, je n'ai rien fait, ô grand jamais, pour affermir ceci, ou même cela, pour m'épanouir dans l'activité, dans l'expansion, dans l'expression corporelle de soi. J'ai regardé tout un chacun grandir, ceux qui passent leur temps en salle, ceux qui ont visiblement un couple de ténias qui s'ignore, ceux pour qui une malheureuse marche quotidienne leur accorde la garantie d'un fessier made in Bouygues, cent pour cent béton. Tous ces autres tellement chanceux que l'on reprendrait volontiers une autre tartine de Nutella, histoire d'oublier cette flagrante injustice devant Dieu, comme devant la glace, objet tellement malotrus qu'il nous renvoie le reflet d'une divinité prématurément décadente.

Alors, jeune et jolie année, fais moi la victime expiatoire de tes bonnes résolutions ! Fais de moi un autre homme, comblé par une demi-pomme, repus d'un nectar en poudre de perlimpinpin, d'un philtre de désamour, pour espérer briguer, dans le courant de cette dodécade prometteuse, un autre regard dans le psyché, un autre corps simplement.

Telle est mon unique résolution de nouvel an...

... chinois (au moins, ça me laissera encore un peu de temps) !

30 décembre 2004

Je mens mal au quart de tour

Le huitième, si ma mémoire de renégat est bonne.

Ce fut un précepte, peut-être, mais du genre de ceux qui se vissent fermement à la personnalité la plus profonde, à l'essence même de ce qui constitue l'individu, mon individu, ce que je suis de par les trois décades qui m'ont vu grandir et, finalement, vieillir... un peu.

Tu ne mentiras point, axiome de loyal chrétien devant un Dieu exigeant qui ne souffrait pas l'écart, le crochet sur la réalité, de ceux qui tentent si souvent de se raccrocher aux branches lorsque le soufflé s'éventre, lorsque la vérité s'éventre. C'est ainsi, j'ai donc appris à ne point déguiser dès mon plus jeune âge mes faits, mes gestes, allant jusqu'à révéler, par acquis de bonne conscience ma dualité belligérante d'adolescent tourmenté à une improbable épouse au cervelet étriqué.

C'était il y a quelques années, déjà, mais cela me rappelle combien la lumière m'attire, combien les rideaux que l'on tire sur soi pour en masquer un versant délicat ne me parent pas de leurs meilleurs atours. Je ne suis pas à l'aise dans le mensonge, je ne m'épanouis nullement dans les demi-vérités, je ne suis pas un sacro-saint ange pour autant, et cependant...

Il y a de ces hérésies qui s'imposent en moi comme des évidences, de ces façons de faire, ou de ne pas, c'est selon, qui m'indisposent au plus haut point, qui me blessent dans ma chair autant que dans mon coeur, stigmates que je m'imagine, peut-être à tort, rouges cramoisis d'une honte qui dégouline lentement, sûrement, ici ou là, mais quelque part en tous cas...

Car, c'est indubitable, un jour, ou un autre, le procédé capotera, l'ellipse se fendra de ses insuffisances, de ses incohérences, et il faudra trouver une nouvelle parade, plus bêtement honteuse encore que celle mise en place un certain soir, sur le fil imaginaire d'un cellulaire, auprès de ma tendre Mamie tant aimée. Ce n'était cependant pas grand chose, j'imagine, que de m'inventer des vacances parisiennes quand j'occupe lestement de ma francitude une Suisse toujours plus attirante, toujours plus aimante, où je finirai, c'est certain, par y poser ma vie. Or, c'est trop tôt, ou trop clair en soi pour oser dire ce que je fais, où je suis, le pourquoi des comments, la raison d'être de mes neuves et répétitives activités transalpines.

De ma léthargie à mon hyperactivité vagabonde, il y a un gouffre que personne ne peut manquer de souligner, et certainement pas elle, pas ma grand-mère qui m'a tout donné et me connaît tant et plus. Excepté sous ce rapport, celui qui me lie à Ludovic et m'amène à donner des impulsions nouvelles, remarquables, remarquées, dans mon petit univers tout bien rangé.

Je devrais m'écrire un scénario, je devrais me dessiner des cartes de rechange au cas où une pirouette s'imposerait, au cas où il me faudrait jouer, mimer, un nouveau numéro de haut vol pour cette spectatrice toute dévouée à ma cause. Mais je ne sais pas, je ne veux pas, je suis moralement délié de ces façons de faire, de ce machiavélisme de bon aloi (la belle affaire !) qui nous rendrait prêt à tout pour sauver l'honneur, le sien autant que le mien. Un vieux réflexe de petit garçon à qui elle a convenablement appris les bonnes manières... Et une preuve d'amour, un peu inversée je suppose, en ne faisant pas tout, dans les formes et le fond, pour éluder mon quotidien.

Aussi, ce rappel inévitable, pris en faute, ce flagrant délit de vacances non officiellement publiées, coup de coeur grimé en coup de tête, voilà bien une chose qui m'insupporte, qui me rend vulnérable, le palpitant s'emballant, les sanglots qui se coincent dans une gorge étouffée par un mensonge auquel je ne crois pas moi-même... Je déteste cette situation, je me répugne d'en arriver là, en attendant pire encore et pourtant... Que faire ?

Dire ou mentir, aimer ou trahir, c'est l'équation insoluble figée dans je ne sais quel équilibre, sans inconnue, dans ce seul rapport de confiance le plus pur, de elle à moi, et vice-versa, celui qui pas un jour n'aura fait défaut. Pas un jour

Sauf aujourd'hui ; une lézarde au mur dans lequel je fonce, à coup sûr...

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